IEPA#4 <-> Pauline Castra

 IEPA#4 <-> Pauline Castra Pauline Castra, Panse tête à Pompéi, 2018 Perspektive
Pauline Castra, Panse tête à Pompéi, 2018

Dans le cadre du fonds PERSPEKTIVE, l’artiste-sculpteur basée à Nouvelle-Aquitaine Pauline Castra participe depuis septembre 2019 et pour une durée de trois mois à la résidence croisée IEPA#4 qui se déroule en partenariat avec la plateforme basis à Francfort. Grâce à cet échange, l’artiste basé à Hesse Dennis Siering a pu se rendre NEKaTOENEa à Hendaye (France) pour développer son projet. Les résultats des deux résidences seront exposés à Francfort et Hendaye début 2020.

Nous avons pu évoquer avec Pauline Castra ses expériences à Francfort ainsi ses futurs projets.


Chère Pauline Castra, cela fait presque deux mois que vous êtes à Francfort. Qu’avez-vous pu percevoir de la scène culturelle jusqu’à présent ?

Pauline Castra J’avoue avoir été très surprise de la grande diversité de projets artistiques présentés. Je ne m’attendais pas à voir autant d’expositions, aussi différentes les unes des autres. Même en dehors de Francfort, toutes les villes possèdent de très beaux musées avec d’excellentes collections comme par exemple le Museum de Wiesbaden. Je m’y suis rendue récemment, c’est vraiment un lieu très agréable, où se côtoient les arts plastiques, l’histoire naturelle, l’ethnographie. J’ai pu y admirer entre autre, une très belle exposition dédiée à la Jugendstill – collection de Ferdinand Wolfgang Neess, une découverte avec Now! Painting in Germany Today : une exposition présentant une sélection d’artistes peintres émergents allemands, sans parler de leur collection modern art ; on peut ainsi contempler de très belles œuvres de Rebecca Horn, Donald Judd, Yves Klein, et évidemment Beuys. Vraiment un très beau lieu, et un accrochage très généreux !

Constatez-vous des différences avec la scène culturelle bordelaise, où vous travaillez actuellement ?

Pauline Castra Il m’est difficile de les comparer ; les deux scènes sont très différentes et leur contexte également. Mais pour rebondir sur ce que je disais précédemment, je me suis souvent étonnée du nombre de musée, et de la qualité des expositions proposées. Cette richesse culturelle s’explique sans doute par le fait que l’Allemagne soit un pays fédéral. Les Länder semblent fortement soutenir la création régionale favorisant l’émergence de différentes scènes artistiques.

 IEPA#4 <-> Pauline Castra Relève de nuit, Recherche dans le cadre du programme IEPA, prise de vue à la lampe torche, museum du Liebieghaus, Francfort 2019 Perspektive
Relève de nuit, Recherche dans le cadre du programme IEPA, prise de vue à la lampe torche, museum du Liebieghaus, Francfort 2019

Quels sont les espaces et les projets artistiques qui vous ont marqué à Francfort ?

Pauline Castra Évidemment, le centre culturel Basis qui m’accueille ici à Francfort. Plongé au cœur de la ville, c’est réellement un vivier artistique de la scène culturelle locale, un espace de recherche et de production dédié à la création. Plus personnellement, l’équipe de Basis est un soutien énorme dans mes recherches actuelles.

Je pense également au projet space fffriedrich géré par les étudiants des beaux arts de la Städelschule et principalement par les étudiants au MA Curatorial Studies de la Städelschule et de la Goethe-Universität . C’est vraiment un lieu d’expérimentation artistique où les étudiants se confrontent directement aux enjeux curatoriaux.  Un rendez vous régulier depuis mon arrivée !

Je pourrais évoquer aussi l’ensemble du Museumsufer. Ce quartier de Francfort regroupe sur le rivage de la Main de très belles institutions pas seulement réservées aux arts plastiques, mais aussi à l’ ethnographie, la filmographie, la photographie, l’architecture, etc. Vraiment une belle découverte !  Par rapport à mon projet, je pense surtout au Liebieghaus Museum. Inscrit lui aussi dans le Museumsufer, ce musée présente la collection sculpturale de la fondation Liebieghaus. On peut ainsi y admirer des œuvres de l’époque antique, du Moyen-âge jusqu’à des pièces néo classiques. Au-delà de la collection, le lieu en lui-même a fortement influencé et inspiré mes recherches.

Vous avez déjà effectué les deux tiers de la résidence et avez encore un mois devant vous. Pour cette résidence vous avez entrepris un travail de recherche d’objets, des objets qui représentent votre expérience personnelle à Francfort et qui recoupent vos œuvres existantes, comme celles récemment exposées à l’ESAPB Cité des Arts à Bayonne. Avez-vous trouvé ce que vous cherchez ?

Pauline Castra Contrairement à mes projets précédents, je souhaitais partir de rien, que tout se fasse dans la rencontre avec Francfort. Pour  Tout le monde se repose ici sauf moi, projet présenté à l’ESAPB, j’étais partie d’une collection de moulages déjà existante pour penser un dispositif sculptural autour. La collection ne m’appartenant pas, l’œuvre n’a existé que le temps de l’exposition. Au final même si je repensais ce projet, la pièce telle que je l’ai conçue à Bayonne n’existerait plus. Tout cela est lié au statut des artefacts que j’emploie, et comment je les emploie. Pour le programme IEPA, j’avais envie d’expérimenter ce processus de la collecte d’une nouvelle façon, non par le déplacement d’objets mais par un témoignage indirect. Aussi, je me suis arrêtée sur des fragments abandonnés du musée du Liebieghaus. Ces gravats architecturaux qui constituaient l’écrin muséal sont entreposés à l’arrière du musée, comme relégués. Sans pouvoir les acquérir réellement, ni même les déplacer, comment rendre compte de la rencontre avec ces formes ? C’est tout l’enjeu de mes recherches actuelles.

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Pauline Castra, Tout le monde se repose ici sauf moi, ESAPB, Bayonne 2019

Vous vous intéressez à des objets qui ont leur propre histoire, leur propre temporalité et que vous recontextualisez dans votre travail sculptural. Pouvez-vous nous parler des phases de création et de conception des sculptures sur lesquelles vous travaillez actuellement ?

Pauline Castra Tout d’abord, il y a ce moment dédié à la collecte, la traque, la fouille… C’est un temps de recherche, où je me déplace, où je scrute en quête de la trouvaille. Cette phase peut m’amener à définir directement un projet, ou seulement servir un concept imaginé en amont. Il peut m’arriver d’employer à plusieurs reprises le même artefact sur différentes pièces. En fait, j’aime cette idée que ces objets vont et viennent au gré de déplacements ; du lieu originel à l’atelier, de l’espace de stockage à l’espace d’exposition, d’une pièce à une autre. En réalité, ils ne cessent de circuler. Mais comme je l’ai dit précédemment, pour le programme IEPA, j’avais envie d’appréhender cette phase autrement. Dans ce cas, il n’est pas question de m’accaparer des formes, mais plutôt de les emprunter. Comment rendre compte d’un objet sans sa présence ? Comment rendre visible quelque chose qui ne l’est pas, tout du moins comment le rendre accessible ? En menant toute une réflexion sur la notion d’archive, je tente de répondre à ces interrogations.

Avec cette recomposition, vous produisez une nouvelle narration qui vous est tout à fait personnelle. Quelle importance et quelle signification revêt la matérialisation de vos expériences personnelles dans les objets exposés ?

Pauline Castra Je vois ces expériences personnelles comme des temps suspendus. Jouant sur des équilibres quelques peu précaires, tout se fige dans ce temps de l’exposition. Les objets exposés dans ces installations semblent retrouver place. Pour un moment, je leur offre un espace pour exister, être appréciés. Quelque part, il s’agit de prendre soin de ces artefacts, de leur accorder un intérêt esthétique inédit, une valeur nouvelle.

Une dernière question pour conclure cet entretien, quelles ont été les expériences les plus importantes lors de votre séjour à Francfort ?

Pauline Castra J’aurais tendance à dire que l’ensemble de cette résidence est une expérience nouvelle, un nouveau défi dans ma recherche artistique. Mais m’intéressant pour beaucoup à la fabrication de l’histoire et sa matérialisation, j’ai particulièrement été interpellée par le Dom-Römer. Ce quartier de la ville fonctionne comme un mémorial. Véritable reconstruction d’édifices détruits pendant la seconde guerre mondiale, cet ensemble architectural souligne une certaine importance identitaire, une volonté de ramener un peu de l’ancien dans une ville profondément contemporaine. Mais au final même le Dom-Römer est un quartier moderne.

Merci beaucoup de nous avoir accordé du temps !

 IEPA#4 <-> Pauline Castra Pauline Castra, Noeud de forme, Rennes 2016 / Pauline Castra, Tout le monde se repose ici sauf moi, ESAPB, Bayonne 2019 Perspektive
Pauline Castra, Noeud de forme, Rennes 2016 / Pauline Castra, Tout le monde se repose ici sauf moi, ESAPB, Bayonne 2019

Pauline Castra est née en 1990 à Mont-de-Marsan, vit et travaille à Bordeaux. Elle a fait ses études à DNSEP, EESAB à Rennes et à DNAP, ESA des Pyrénées à Pau. La résidence à basis à Francfort est actuellement en cours jusqu’à fin novembre. Les résultats ainsi que les travaux de Dennis Siering seront présentés du 24 janvier au 8 mars 2020 au centre d’art basis puis en France, accompagnés de la parution d’une publication commune.


L’entretien a été conduit par Stefanie Steps, chargée de projets culturels Bureau des arts plastiques, en octobre 2019.