NOUVEAU REALISME <-> FRANCE

Une nouvelle génération d’architectes a vu le jour en France qui s’inscrit dans la tradition du discours rationaliste tout en cultivant une approche à la fois radicale et poétique des réalités urbaines, sociétales et économiques. Inspirés de personnalités de la scène architecturale française telles que Lacaton et Vassal, il est cependant difficile de nier une certaine proximité avec les évolutions architecturales européennes contemporaines telles que celles qui marquent les Flandres notamment. Le magazine ARCH+ consacre son numéro d’automne à ces mouvements contemporains et présente cette nouvelle scène à travers des essais, des entretiens, des prises de position et des présentations de projets. Gilles Delalex et Yves Moreau, fondateurs de l’agence parisienne Muoto, y échangent notamment avec André Kempe, architecte de Rotterdam, sur leurs approches respectives dans un entretien dont voici quelques extraits :

Yves Moreau En France, l’architecture relève du domaine de compétence du Ministère de la Culture, et non, comme dans certains pays, de celui du Ministère de la Construction ou de l’Éducation. Ça fait toute la différence. Ici, un architecte peut à la fois tenir et assumer un discours artistique, alors que dans d’autres pays, c’est une logique de construction qui est privilégiée. Il ou elle peut dire ainsi « Nous l’avons conçu ainsi car nous trouvions cela beau ».

André Kempe Vos projets semblent participer d’une approche exclusivement technique et laisser une large place à la question de la faisabilité de la construction, un peu comme s’ils avaient vocation à être exécutés au fur et à mesure de leur conception. Quelle est votre démarche ?

Gilles Delalex Dans les agences dans lesquelles nous avons travaillé auparavant, on ne nous a pas appris à construire mais à élaborer des concepts, des projets, sans entrer dans les détails techniques tels que la structure d’un bâtiment ou tous ces détails nécessaires à sa réalisation concrète. Nos premiers projets ont ainsi été le résultat d’une approche très naïve. Chez Saclay par exemple, nous n’avions aucune idée de la façon dont nos projets pouvaient être réalisés. Et je crois que si nous l’avions su, cela nous aurait freinés en pleine phase conceptuelle. Nous pensions simplement que nous trouverions la solution le moment venu. Bien entendu, nous connaissions l’existence de ponts thermiques par exemple. Mais nous partions du principe que nous finirions par y trouver une solution, que nous verrions plus tard, qu’il fallait attendre les résultats des calculs thermodynamiques, etc.

 NOUVEAU REALISME <-> FRANCE Muoto, photo : Maxime Delvaux Perspektive
Muoto, photo : Maxime Delvaux

André Kempe Quel rôle jouent les détails dans votre démarche architecturale ?

Gilles Delalex Idéalement, il n’y a en a pas. Il ne faut pas, selon nous, s’arrêter aux questions de détail. Un détail doit rester un détail. Sinon, tout le projet risque de tourner autour de la question : « Comment vais-je bien pouvoir réaliser tel ou tel angle ? » Même si, bien sûr, il nous faut y réfléchir un peu.

 NOUVEAU REALISME <-> FRANCE Ecole numérique, photo : Maxime Delvaux Perspektive
Ecole numérique, photo : Maxime Delvaux

André Kempe Lorsque l’on visualise vos projets, prenons le cas de la Maison du Technopôle à Saint Lô, c’est un peu comme si on découvrait au premier coup d’œil une photo très réaliste. Et pourtant ils respirent une certaine poésie qui va bien au-delà du réel. Quel rôle joue cette façon de représenter les choses ?

Gilles Delalex Ces images hyperréalistes véhiculent avant tout une intention, un objectif. Elles expriment quelque chose quant au caractère et à la présence du bâtiment. À travers ces images, nous cherchons à atteindre le point où il n’est plus besoin d’essayer d’imiter la réalité mais au contraire de la saisir le plus directement possible afin, au bout du compte, d’être le plus précis possible. Elles sont pour nous comme des documents de travail qui évoluent au fil du temps. La poésie dont tu parles résulte, elle, du décalage que nous cherchons à atteindre par rapport à un bâtiment habituel. Notre architecture puise ses références dans de nombreux archétypes, dans l’architecture moderne de l’après-guerre, dans toutes ces choses que nous connaissons bien.  Afin de rendre l’habituel intéressant, il est nécessaire de trouver une forme de distanciation. Nous travaillons depuis 2012 avec Olivier Champagne du studio Artefactory afin d’élaborer ces images. Il fait lui-même les photos des sites pour les concours que nous organisons et réalise, à côté de Maxime Delvaux, la documentation consacrée aux bâtiments une fois réalisés.

Gilles Delalex et Yves Moreau seront cet automne à Berlin à l’occasion de « ARCH+ features 103 : un nouveau réalisme français », afin d’échanger avec Stéphanie Bru et Alexandre Theriot (Bruther), Anne Lacaton (Lacaton & Vassal) et Finn Geipel (LIN) sur leurs travaux respectifs. André Kempe (Atelier Kempe Thill et rédacteur en chef du numéro d‘automne) et Anh-Linh Ngo (rédacteur en chef d’ARCH+) animeront ces échanges. Ici le trailer du magazine.

 NOUVEAU REALISME <-> FRANCE ARCH+ 240, Neuer Realismus in der französischen Architektur, automne 2020 Perspektive
ARCH+ 240, Neuer Realismus in der französischen Architektur, automne 2020